Le bruit a couru en semant un vent de panique et d’indignation : les personnes fragiles ou âgées de plus de 65 ans, plus à risque face au coronavirus, seraient maintenues en confinement après le 11 mai.
Au total, 17 à 18 millions de personnes étaient concernées. Le Pr Jean-François Delfraissy, à la tête du conseil scientifique, l’a suggéré ; le président de la République y a songé, avant de se raviser.
Pour prendre sa décision, il a consulté des élus, des experts, des scientifiques… dont le Pr Axel Kahn, médecin généticien. Le président de la Ligue contre le cancer rappelle que cette forme de discrimination est intolérable sur le plan humain et contre-productive sur le plan médical.
Qu'avez-vous dit à Emmanuel Macron pour éviter le maintien en confinement des personnes fragiles ?
Pr Axel Kahn : Je me suis fait l’écho des appels désespérés que nous avons reçus à la Ligue contre le cancer. Les personnes se demandaient si elles allaient rester assignées à résidence jusqu’à la fin de leurs jours, sans possibilité de voir le ciel autrement que par la fenêtre.
Je l’ai alerté sur ce que cela pouvait engendrer : une forte colère, un sentiment de révolte, voire une perte de goût à la vie, avec, au final, un risque que ces personnes rejettent ces mesures et ne participent pas à leur propre protection. Sans parler du caractère illégal d’une mesure qui aurait discriminé 18 millions de personnes, induit des contrôles policiers pour vérifier leur âge… Absurde. Le confinement prolongé des personnes âgées, ce n’est pas tenable.
Oui, mais il faut bien protéger ces populations plus fragiles…
Pr Axel Kahn : Nous savons, en tant que médecins, que pour aider les gens, il ne faut jamais rompre avec eux. Il faut les accompagner en leur proposant ce qu’ils sont capables d’accepter, ce à quoi ils peuvent adhérer. Or, une discrimination dans le déconfinement - des personnes âgées, ou en surpoids…- aurait été tout simplement inacceptable. Ce que nous disons aux personnes âgées ou à celles atteintes d’un cancer, c’est de gérer leur déconfinement de manière spécifique : éviter les réunions familiales, voir les petits-enfants sans les embrasser… En revanche, il faut qu’elles puissent aller prendre l’air, se promener, en portant un masque.
Les annonces d’Edouard Philippe constituent-elles un bon équilibre entre la santé publique et la demande sociale ?
Pr Axel Kahn : Oui, à mon sens, elles sont éminemment raisonnables. Edouard Philippe a pris conscience que les notions étaient aussi évolutives que ne l’était l’épidémie, que l’on pouvait donner des indications générales, mais qu’il fallait surtout s’adapter en permanence. Il a été modeste, et donc crédible.
Comment déconfiner tout en conciliant le médical et le sociétal ?
Pr Axel Kahn : Le déconfinement réussi, c’est celui qui se fera par des mesures de traçage et de confinement sélectif - et non pas en déconfinant par catégorie de population. C’est ce qui a marché en Corée du Sud et en Allemagne. Toutes les personnes qui ont des symptômes doivent être détectées, leurs contacts identifiés, les personnes à risque isolées. Cela demande beaucoup de tests et de moyens humains, mais si l’on procède comme ça, on devrait bien gérer le déconfinement.